Avertissements (TW) : violences homophobes

Un texte de Arnaud Gazeau

Lorsqu’en 2013, le groupe de musique français Indochine sort la chanson “College Boy” (l’une des pièces de leur douzième album, “Black City Parade”), peu de gens s’attendaient à voir débarquer un vidéoclip officiel aussi corrosif que celui réalisé par Xavier Dolan. Xavier Dolan qui avait réalisé ses 5 premiers films en carrière avant même d’atteindre 25 ans : J’ai tué ma mère en 2009, Les amours imaginaires en 2010, Laurence Anyways en 2012, Tom à la ferme en 2013 et Mommy en 2014. Le discours de ces œuvres, dans lesquelles il joue souvent l’un des rôles principaux, s’articule toujours autour de thématiques typiquement queers. Depuis Tom à  la ferme, le directeur photo émérite André Turpin est devenu un collaborateur régulier du cinéaste. Comme de raison, c’est Turpin qui signe la direction photo du vidéoclip  “College Boy” et où Antoine Olivier-Pilon incarne le protagoniste principal.

La scène d’introduction du vidéoclip montre un Olivier-Pilon en train d’endurer une première salve d’attaques (texto visiblement dénigrant, lancers de boulettes de papier et d’un stylo) durant un cours, sous le silence complice de l’enseignante. Pendant que l’avant-dernier plan de caméra de cette scène, rapproché, montre l’oeil et la joue gauche du college boy, les chuintements masculins en voix off qui avaient commencé à se faire entendre deviennent de plus en plus audibles : de sorte qu’au moment où l’oeil de l’adolescent cligne, faisant couler l’espèce de double larme ambrée (évoquant du sang dilué) qui restait plus ou moins figée sur sa joue durant le plan, on peut discerner, dans le chœur de chuchotements, les mots “lécher” ou “lécheux” ainsi que la contraction “l’cul”. Avec la sonnerie de cloche annonçant la fin du cours, l’interprétation musicale de la chanson d’Indochine débute, toujours superposée aux images conçues par Dolan le réalisateur. Images qui donnent ici un sens beaucoup plus politique à la troisième ligne de paroles : “Je serai trop différent pour leur vie si tranquille”.

La connotation queer est renforcée un peu plus loin par une scène montrant un repas familial où la différence du college boy (cette fois sous la forme de vernis à ongles, vernis qui se fait effacer par une reine-mère sardonique et profondément détestable) suscite à nouveau des moqueries. L’effacement du vernis évoque assez bien la logique tordue qui sous-tend les programmes traumatisants de thérapie de conversion sexuelle qu’on propose encore aux LGBTQ dans certains milieux trop conservateurs. L’Américain Garrad Conley en livre un témoignage glaçant dans son livre autobiographique Boy Erased, qui a d’ailleurs été adapté au cinéma (et dans laquelle notre Xavier Dolan tient un petit rôle).

Plus loin, le vidéoclip montre le college boy en train de poireauter sur le banc de touche lors d’un cours de basketball, les yeux dans le vide. La séquence semble laisser entrevoir un changement de paradigme dans la situation du protagoniste alors que le coach l’envoie au jeu et qu’il marque un panier, sous les encouragements enthousiastes des autres joueurs au banc et des majorettes. D’autant plus que cette gradation se déroule sur les paroles : “Quand tu te réveilleras / Oui, j’aime ça  / Le goût de lait sur ta peau, j’ai le droit / Là oui nous sommes en vie”. Malheureusement, un ballon lancé violemment hors champ qu’il reçoit en pleine gueule le ramène rapidement à la cruelle réalité, alors que ceux qui l’acclamaient il y a tout juste un instant se taisent et se figent, les yeux masqués par un bandeau. Cet accessoire (que porteront également les autres élèves témoins des ultimes sévices subis par le personnage d’Antoine Olivier-Pilon) représente l’inaction dont font preuve la grande majorité des jeunes lorsqu’ils sont témoins d’une situation d’intimidation, homophobe ou autre.

Le face-à-face entre l’intimidé et ses intimidateurs au son des paroles : “Comme des garçons en colère”, juste après, est un moment fort du vidéoclip. Filmée avec une maestria, une intelligence et une sensibilité hors du commun, cette scène doit beaucoup de son impact à la force du jeu dramatique de chacun des jeunes acteurs, pas seulement Antoine Olivier-Pilon : tous parviennent à retranscrire avec un incroyable talent la moindre des émotions dont peuvent être habités n’importe quel(s) adolescent(s) impliqué(s) dans une embuscade à 10 contre 1 aux toilettes de l’école (là où le secours est le moins susceptible de se présenter).

Dans la dernière partie du vidéoclip, les collégiens vont successivement projeter leur victime au bas des marches roides de l’entrée principale de l’école (au son des paroles “Je comprends qu’ici c’est dur d’être si différent”), le tabasser à coups de pied, lui uriner dessus avant de rejouer la Passion du Christ en le crucifiant. Sous le commandement du chef de la bande, ils vont carrément sortir des armes à feu de leurs sacs à dos pour cribler de balles la poitrine du supplicié hissé sur la croix.

Par la suite, deux policiers surgissent sur le terrain (bandeau sur les yeux, comme tous les spectateurs passifs du calvaire du college boy) en brandissant leurs pistolets à impulsions électriques, faisant aussitôt décamper les acolytes du chef de la meute. Cependant, nullement désarçonné, le bourreau réussit, avec un magnétisme pervers, à pousser les deux agents à pointer leurs armes vers le crucifié et à lui tirer dessus.

Les dernières secondes partagées par le collégien tortionnaire-en-chef et le personnage d’Antoine Olivier-Pilon sont particulièrement intéressantes puisqu’elles viennent jeter une certaine ambiguïté sur la dynamique de relation entre eux. Après l’électrocution au taser du college boy et le long coup de sifflet d’un shérif (avec chapeau de cow-boy) qui se charge de ramener à l’intérieur tous les élèves et enseignantes, le visage du chef de meute semble trahir une émotion quelque peu inattendue : lorsqu’il jette un regard par-dessus son épaule en direction de sa victime avant de suivre le mouvement de foule à l’intérieur, les yeux du bourreau sont étrangement embués, comme s’il éprouvait un certain remord, voire une indésirable proximité affective avec ce jeune homme. Et si c’était pour nier des sentiments “contre-nature” montant en lui qu’il avait décidé de faire payer de sa vie son camarade de classe? Cette hypothèse expliquerait plutôt bien le fait que, pendant la scène où le voyou met au défi les policiers de tirer au taser sur sa victime, le refrain (J’ai le droit à tous les endroits / De te faire ça, à tous les endroits / J’ai quand même bien le droit / Oui de te faire ça / Oui, j’ai le droit oui, de te faire ça) soit scandé pour la première fois par une voix féminine :  le “droit de te faire ça” pouvant être interprété autant comme le droit de faire l’amour que de mettre à mort.

Durant les dernières notes de la chanson, on peut voir une cohorte de sœurs religieuses passer à proximité en cavalcade en consultant à la va-vite des documents s’envolant au vent qu’on peut supposer être des partitions de chants religieux. Qu’elles n’accordent pas la moindre attention au college boy crucifié appuie l’idée d’appartenance de ce dernier à la communauté LGBTQ : en effet, s’il est une tranche de la population qui se soit de tout temps fait réprouver par les divers courants de pensée religieux, c’est bien celle-là. Il faut également mentionner que le discours LGBTQ et la thématique de harcèlement en milieu scolaire sont moins présents dans les paroles de la chanson que dans le clip : ce sont les images filmées par la caméra de Dolan ainsi que leur mise en scène qui mettent véritablement le propos sur la table. 

Source des images : Dolan, Xavier, réalisateur. Indochine – College Boy (Clip officiel), mis en ligne par Indochine, 3 mai. 2013, https://youtu.be/Rp5U5mdARgY

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